Synthèse : Sanction de LBP du 21 décembre 2018 par l’ACPR
Synthèse : Sanction de LBP du 21 décembre 2018 par l’ACPR
La
décision en bref
L’ACPR constate de sérieux
manquements dans le dispositif de gel des avoirs :
·
Carence
très grave liée à
l’absence de dispositif permettant de détecter, avant leur exécution,
des opérations de « mandat cash » au bénéfice de personnes faisant
l’objet d’une mesure européenne ou nationale de gel des avoirs.
·
Absence
de prise en compte dans le dispositif de filtrage de gel des avoirs, des donneurs d’ordre ou
bénéficiaire d’opérations de MCN (Mandat Cash National), ne disposant pas de
compte bancaire ouvert auprès de l’organisme financier. Tandis que l’ACPR
indique à la lumière de l’article L561-2 du Code monétaire et financier que, jusqu’à
leur remise au bénéficiaire, les fonds issus d’un transfert, à la demande d’un
client non-dépositaire d’un compte bancaire, d’une opération de MCN, étaient
bien détenus « auprès » de La Banque Postale (LBP), de sorte que ces
opérations entraient bien dans le périmètre du dispositif français de gel
des avoirs.
·
Rappel
de l’obligation de se doter d’un dispositif efficace de filtrage
et régulièrement mis à jour des personnes faisant l’objet d’une mesure
de gel des avoirs, correspondant à une obligation de résultat, et non à obligation
de moyen.
L’ACPR
prononce une sanction pécuniaire extraordinaire de 50 millions
d’euros prononcée, assortie d’un blâme, due à divers manquements aggravés
par de :
Ø
Fausses
déclarations
quant à l’effectivité réelle du dispositif de filtrage de personnes faisant
l’objet de mesures de gel des avoirs par LBP, auprès du Secrétaire général de
l’ACPR
Ø
Défaut
de mesures correctrices prises dans un délai raisonnable
Ø
Mauvaises
circulations des informations portant sur les risques LCB-FT auprès du comité des risques du
conseil de surveillance
Le Conseil d’Etat, à la suite du recours formé
par la LBP, confirme la décision de l’ACPR prise au regard des manquements
d’une particulière gravité et des potentielles conséquences très
lourdes concernant le filtrage incomplet des opérations de MCN, justifiant ainsi
une sanction qu’il juge proportionnelle à la taille significative de la LBP.
*
* *
Le 21
décembre 2018, l’ACPR a sanctionné La Banque postale (LBP) filiale du groupe La
Poste, qui proposait un service de « mandat cash national » (MCN).
À la suite
d’un contrôle sur place effectué entre le 2 mars et le 28 juillet 2017, une
carence très grave a été détectée concernant son dispositif lacunaire de
filtrage a priori, visant à détecter si une personne ou entité fait
l’objet d’une mesure de gel des avoirs.
L’ACPR a
ainsi condamné LBP à une sanction pécuniaire de 50 millions d’euros assortie
d’un blâme.
Il s’agit de la sanction la plus importante jamais infligée
pour ce type de manquement.
Le mandat
cash national est un service de paiement de transmission de fonds au sens de
l’article L314-1 du Code monétaire et financier. Il s’agit d’un moyen de transmission
de fonds via des services postaux qui a remplacé le mouvement de monnaie
fiduciaire.
Alors que
l’article 47 de l’arrêté du 3 novembre 2014, prévoit que les entreprises
assujetties doivent se doter de dispositifs adaptés à leurs activités, leur
permettant de « détecter toute opération au bénéfice d’une personne ou
d’une entité faisant l’objet d’une mesure de gel des fonds, instruments
financiers, ou ressources économiques. »
Lors de son
contrôle, l’ACPR a ainsi constaté que la LBP ne s’était pas dotée d’un
dispositif lui permettant de détecter, avant leur exécution, les opérations de
MCN au bénéfice de personnes faisant l’objet d’une mesure européenne ou
nationale de gel des avoirs (« personnes listées »).
Ces opérations ont représenté des volumes importants, près
de 25 millions de MCN exécutés entre le 1er janvier 2013 et le
31 mars 2017, parfois effectuées par ou pour des personnes condamnées et détenues
qui n’ont pas été intégrées dans les outils de filtrage automatisé ou manuel de
LBP.
L’ACPR a
relevé qu’au moins 75 opérations de MCN ont été effectuées pour le compte de 10
clients dont les éléments d’identité (nom ; prénom ; et date de
naissance), correspondent à ceux de personnes qui faisaient l’objet, à la date
des opérations, d’une mesure de gel, dans 9 cas sur 10 en raison d’activités
terroristes.
Il convient également de remarquer que les opérations en
cause étaient très nombreuses, et impliquaient des mouvements d’espèces, qui
sont par nature porteurs de risques particuliers à ne pas négliger.
Il résulte du contrôle de l’ACPR, que LBP n’était pas en
mesure de détecter, avant l’exécution de ces opérations, si les clients, y
compris les clients ne possédant pas de compte chez LBP, utilisateurs de
MCN, faisaient l’objet d’une mesure de gel et d’interdiction de mise à
disposition des fonds.
De plus, ces opérations ont été exécutées en l’absence de
toute vérification préalable de leur conformité aux obligations européennes et
nationales de gel des avoirs, et que certaines opérations n’ont été détectées
qu’a posteriori, fin 2014, par l’audit interne de l’établissement.
L’ACPR reproche
vivement l’exclusion de la totalité des opérations MCN du dispositif du gel des
avoirs, de sorte que ne pouvaient être détectées a priori des opérations
demandées par, ou pour des personnes listées. Cette non-détection des opérations
effectuées dans les cas mentionnés, illustre donc une carence très grave.
Pour justifier
cette carence, LBP arguait auprès de l’ACPR que les articles L.562-1 et L562-2
du CMF n’incluaient pas les fonds « détenus hors compte »
comme devant faire partie du dispositif de filtrage.
Selon LBP,
les opérations de MCN proposées à une clientèle de particuliers « uniquement
payables en espèces », ne sont pas inscrits dans les comptes de la LPB.
Que de ce
fait, les opérations s’y apportant ne portaient pas sur des avoirs détenus
auprès d’elle, et n’avaient pas à entrer dans le champ de son dispositif de
filtrage.
Néanmoins,
l’ACPR, indique que les précédents articles cités devaient être lus à la
lumière de l’article L561-2 du CMF qui dispose que « s’entend comme
toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert ou utilisation des
fonds, instruments financiers et ressources économiques qui auraient pour
conséquence un changement de leur montant, de leur localisation, de leur propriété,
de leur nature ou toute autre modification qui pourrait en permettre
l’utilisation par les personnes faisant l’objet de la mesure de gel ».
Qu’ainsi, il serait contraire à l’objet même des
dispositions législatives en cause, de restreindre aux clients inscrits sur un
compte bancaire ouvert au nom de la personne concernée, le champ des avoirs
détenus auprès d’un organisme financier, qui étaient, au moment du contrôle,
susceptibles d’être visés par une mesure de gel des avoirs.
En conclusion de ce point, l’ACPR revendique ainsi que
jusqu’à leur remise au bénéficiaire, les fonds issus d’un transfert après la
demande d’un client d’une opération de MCN, étaient bien détenus « auprès »
de LBP, de sorte que ces fonds entraient bien dans le périmètre du dispositif
français de gel des avoirs.
De plus, LBP
avait connaissance dès 2013 de la non-conformité des obligations légales de son
dispositif qui ne prévoyait pas la détection des MCN au bénéfice de personnes
dont les avoirs étaient gelés.
LBP a tenté
de mettre en avant des difficultés techniques que l’ACPR a rejetées.
D’autant qu’au moment du contrôle, l’intégration des MCN
dans le dispositif de gel des avoirs n’était toujours pas achevée.
Les mesures correctrices n’ont donc pas été mises en œuvre
dans un délai raisonnable, l’ACPR se montre ainsi intransigeante et revendique
le caractère urgent et nécessaire d’un dispositif de filtrage complet et mis à
jour de manière quotidienne. En effet, ce dispositif de filtrage relève d’une
obligation de résultat comme elle le rappelle dans la présente
décision.
Pourtant LBP s’est bornée à communiquer des informations
inexactes au Secrétariat général de l’ACPR en 2016, indiquant que son
dispositif de filtrage était pleinement effectif et permettait de détecter les
opérations effectuées au bénéfice de personnes ou entités faisant l’objet de
mesures de gel des avoirs nationales et européennes.
Qu’enfin, il
ressort que le comité des risques du conseil de surveillance n’ait pas été
informé lors des réunions tenues en 2015 et 2016, du risque de non-conformité
lié à l’absence de filtrage des opérations MCN.
Cependant,
LPB indique que ce comité a pourtant été bien informé des enjeux en matière de
LCB-FT, et que le défaut d’information de ce dernier concernant le risque lié
aux MCN, résulte des insuffisances des directions de la sécurité et des
opérations financières, et de la conformité et du contrôle permanent, qui n’ont
pas suffisamment attiré l’attention du directoire sur les décalages successifs
des projets de filtrage initiés à partir de 2013 et sur la gravité des risques
qui en résultaient.
Toutefois
pour l’ACPR, l’évocation très générale des sujets se rapportant à la LCB-FT au
cours des réunions du comité des risques du conseil de surveillance n’équivaut
pas à une information sur le risque particulier de non-conformité en matière de
MCN qui avait été détecté.
Il ne s’agit
cependant pas d’un motif pouvant exonérer d’une quelconque manière LBP de ses
agissements quant au manque d’effectivité de son dispositif de filtrage.
Il résulte ainsi pour l’ACPR, que le dispositif de gel des
avoirs n’était pas, en raison des différents points soulevés, à la hauteur de
ce qui pouvait être attendu d’un établissement bancaire de taille significative,
appartenant de surcroit au secteur public.
Enfin cette décision a fait l’objet d’un recours auprès du Conseil
d’Etat qui a débouté LBP de sa demande d’annulation de la sanction le 15
novembre 2019.
Le Conseil a confirmé tous les points précédemment évoqués par
l’ACPR, notamment sur le fait que les fonds transférés par mandat au bénéfice
ou à la demande de personnes ou d'entités désignées, sont susceptibles de faire
l'objet d'une mesure de gel, alors même que le bénéficiaire et le donneur
d'ordre ne disposeraient pas de compte ouvert auprès de l'organisme financier
procédant à ces transferts.
Qu’il résulte bien de l'instruction que, depuis au moins le
mois de novembre 2013, avant le contrôle diligenté par l'Autorité, les organes
dirigeants de la société LBP, à l'exception du comité des risques du conseil de
surveillance, étaient avertis du niveau de risque élevé que le défaut de
conformité au regard des obligations relatives au dispositif de gel des avoirs
résultant de l'absence de contrôle des " mandats cash " nationaux
avant leur exécution, faisait peser sur la banque, et qu'ils ont sciemment
assumé le risque qu'entraînait le retard pris dans la correction de cette
défaillance.
En définitive, eu égard à la gravité particulière des
manquements commis, à la durée de la période durant laquelle ces manquements
ont perduré, au comportement de la société et à sa situation notamment
financière, la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de la société LBP, ne
revêt pas un caractère disproportionné.
En conclusion, il convient de constater le caractère
intransigeant de l’ACPR confirmé par le Conseil d’Etat, en cas de dispositif
défaillant, qui se justifie à juste titre de manquements qualifiés d’une
particulière gravité et des potentielles conséquences très lourdes, concernant le
filtrage incomplet des opérations de MCN.
Le montant
de la sanction de LBP se justifie notamment par le non-respect d’un délai
raisonnable quant à la prise de mesures correctrices, et des propos mensongers
qu’elle a tenus auprès de l’ACPR, amenant ainsi à la sanction pécuniaire la
plus élevée jamais prononcée.
Auteur : Justine Muscat
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